Industries et technologies, mars 2003

Retour

COMMENT RHODIA ACCELERE SA R&D, par Michel Le Toullec.

Avec son Laboratoire du futur, le groupe chimique espère accroître la productivité de sa recherche. On y développe des tests basés sur la microfluidique et les techniques combinatoires.
L’endroit ressemble davantage à une start-up californienne qu’à un centre de recherche : un patio arboré, des baies vitrées donnant sur des laboratoires dotés d’équipements de pointe, une moyenne d’âge plutôt jeune… Ce n’est pas la seule originalité du Laboratoire du futur (ou LOF pour Laboratory of the future) de Rhodia. Inauguré en octobre 2004 à Pessac (Gironde), sur la technopole Bordeaux-Unitec, il est atypique à plus d’un titre. « Les centres de R&D du groupe comptent surtout des chimistes, en moyenne 70 %, explique Mathieu Joanicot, directeur du LOF. Pas ici. Notre équipe, d’une quinzaine de chercheurs, est avant tout pluridisciplinaire avec des profils très orientés technologie : capteurs, microfabrication, fluidique, techniques analytiques, automatismes. »
Autre spécificité, certains chercheurs sont des transfuges d’universités américaines prestigieuses comme Harvard ou Columbia. Mais, surtout, le LOF s’inscrit dans une démarche de rupture technologique et culturelle pour un groupe chimique. « Notre mission est d’accélérer la productivité de la recherche de Rhodia menée sur ses cinq autres sites de R&D : Lyon, Aubervilliers, Cranbury (Etats-Unis), Paulinia (Brésil) et Shanghai (Chine). » Le but est de réduire de moitié, en quelques années, les délais de R&D. Pour y parvenir, le LOF met l’accent sur trois technologies : la microfluidique, l’automatisation et l’informatique. Ici on ne recherche pas de nouvelles molécules. Les chercheurs du LOF imaginent des solutions pour tester plus vite les procédés et les produits afin de ne garder que les meilleurs. Une approche qui vise à accélérer l’innovation dans les secteurs très variés que couvre Rhodia : plastiques, peintures, cosmétiques, pharmacie, détergents, dépollution, agroalimentaire, textile…
Le développement de systèmes microfluidiques est l’un des axes de la stratégie du LOF. Ces véritables laboratoires, de la taille d’une carte de crédit, équipés de microcanaux et de connecteurs, permettent de réaliser des réactions chimiques plus rapidement. Une caractéristique liée à l’étroitesse des canaux qui force les molécules à se rencontrer très vite. Le rapport surface sur volume, très élevé dans ces microsystèmes, assure en outre un meilleur transfert de masse et de chaleur. Mais au LOF, la microfluidique n’est pas appliquée à la synthèse. « Nous l’exploitons comme outil analytique miniaturisé, explique Mathieu Joanicot. Cette miniaturisation a déjà permis d’augmenter les débits d’essais en biologie : notre but est d’appliquer cette démarche à la physico-chimie. »

Pour mettre au point ces microlabos, Rhodia s’appuie sur ses compétences multidisciplinaires et sur le réseau microfluidique auquel il appartient. Le LOF est équipé d’une unité de microfabrication dédiée à cette activité.
Le principe de fabrication d’un système microfluidique est dérivé de l’industrie électronique. Des systèmes prototypes sont ainsi réalisés en élastomère PDMS (polydiméthylsiloxane) au laboratoire. Mais ces dispositifs sont notamment limités par leur tenue aux solvants. Aussi, les chercheurs fabriquent des systèmes microfluidiques en verre : par gravure chimique de deux demi-plaques puis assemblage par fusion bonding. Pour ces travaux en microfluidique, sur lesquels deux brevets ont déjà été déposés, le laboratoire de Rhodia collabore avec plusieurs partenaires : le Laas (Toulouse), IXL (Bordeaux) et l’Ensiacet (Toulouse). « Notre objectif est de livrer nos premières solutions d’ici quatre à six mois », assure Mathieu Joanicot.
A partir de tels dispositifs, les chercheurs du LOF sont, par exemple, capables de caractériser la cinétique de réactions chimiques. Leur approche consiste à faire réagir les espèces, sous forme de gouttes, dans les microcanaux. Une technique développée, à l’origine, à Harvard et qui a été transférée au LOF. « Une goutte est un réacteur idéal, explique Mathieu Joanicot. Il s’agit d’un système parfaitement agité dont le confinement et le temps de résidence sont totalement contrôlés. » Pour caractériser la cinétique d’une réaction, le système microfluidique est couplé à un équipement permettant la détection locale et sélective des espèces qui réagissent : la microscopie Raman confocale. La méthode permet d’étudier, à tout instant de la réaction, la composition des gouttes et l’évolution des concentrations dans le temps.
Les chercheurs du LOF développent, par ailleurs, un rhéomètre sur puce microfluidique. Ce dispositif est conçu pour permettre une approche haut débit des problèmes de formulation. Il s’agit de mesurer, en utilisant très peu de produit, les écoulements dans les microcanaux de fluides complexes. En particulier dans les shampooings, les sauces ou les mousses qui contiennent souvent de l’huile, de l’eau, des tensioactifs, des polymères, des épaississants, des agents gélifiants…

L’automatisation est un autre point fort du Laboratoire. L’objectif est, cette fois, de pouvoir réaliser de nombreux tests en simultané en utilisant les techniques combinatoires. Une cellule robotisée, développée avec le suisse Zinser, est conçue pour réaliser rapidement des formulations sur des plaques à 96 micropuits en moins de temps qu’il n’en faudrait à un chimiste de paillasse pour en produire un seul. L’ensemble compte deux bras manipulateurs, des systèmes de pipetage, de dosage (pour liquides ou pour produits visqueux), de chauffage… La cellule a été pensée, non pas comme une plate-forme totalement intégrée, mais plutôt comme un ensemble modulable en fonction des opérations voulues. Les plaques à 96 micropuits sont alors analysées optiquement (dans le visible) pour en étudier notamment la transparence, l’homogénéité ou l’apparition de cristaux.
Le LOF développe aussi la technologie à jet d’encre pour réaliser, par synthèse combinatoire, jusqu’à 900 formulations différentes sur une surface d’un centimètre carré ! « Ce principe d’impression sans contact permet de déposer des gouttes de 50 microns de diamètre », précise Mathieu Joanicot. Cette approche peut s’appliquer, par exemple, au test de formulations d’agents de modification de surface pour les peintures, les textiles ou les produits d’entretien ménager.

Enfin, pour pouvoir gérer et analyser les innombrables données issues de la miniaturisation et de l’automatisation, le LOF travaille aussi sur l’informatique. « C’est un thème de fond qui touche à l’organisation même de la recherche en chimie », assure Mathieu Joanicot. Le problème est qu’il n’existe pas de systèmes standards comme on en trouve pour la biologie : la chimie est, en effet, beaucoup plus diversifiée. « Nous avons ici un rôle de veille concernant les systèmes du marché, notamment ceux d’Accelrys, d’Altran, de Mettler et d’Intellichem (filiale de Symyx). »
Le planning du LOF est donc bien chargé. Heureusement, il y a suffisamment de place pour recevoir au total une cinquantaine de chercheurs. Le laboratoire girondin, qui héberge déjà une équipe mixte Rhodia-CNRS et université de Bordeaux-I, a en effet pour vocation d’accueillir des chercheurs temporairement détachés des centres de recherche du groupe, ainsi que des thésards et postdoctorants.

Lire l’article